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La langue de ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð

par Matthieu Motte
moliere learn french culture

Moliere

La langue de ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð ; nul besoin de la d¨¦lier, c¡¯est la v?tre! Celle qui forge l¡¯identit¨¦ d¡¯un lyc¨¦en ou d¡¯un apprenti com¨¦dien, fran?ais ou francophone ; qu¡¯il r¨¦cite, qu¡¯il compose ou qu¡¯il clame. Les mots de ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð coulent entre la langue et le palais ; suivant les pulsations du c?ur (Rodrigue, en as-tu?), oscillant entre le familier de la rue et le phras¨¦ soutenu sans tomber dans le pr¨¦cieux ridicule.

Le dramaturge est de ces g¨¦nies atemporels dont il suffit de lire une sc¨¨ne pour comprendre que leur voix r¨¦sonne encore dans la pi¨¨ce... En pl¨¦iade ou en folio, dans un fauteuil ou sur les tr¨¦teaux (surtout), les pi¨¨ces de Jean-Baptiste Poquelin plaisent et instruisent encore ¨¤ l¡¯or¨¦e du quadricentenaire de sa naissance. Aucune r¨¦plique ne sent la naphtaline, aucune saillie le ch¨¨vrefeuille, au pire la quatri¨¨me de couv¡¯ n¨¦cessite juste qu¡¯on l¡¯¨¦poussette. ?coutez Scapin, regardez Sganarelle, souffrez Tartuffe, ils sont bien vivants, r¨¦els et tellement contemporains¡­ Tellement. H¨¦las il suffit d¡¯allumer la radio ou la t¨¦l¨¦ pour s¡¯en convaincre... Cette ann¨¦e, on pr¨¦f¨¦rera ? si loisible en est ? se calfeutrer dans le moelleux d¡¯un strapontin, entendre r¨¦sonner les trois coups du brigadier et attendre le lever de rideau pour go?ter la langue de ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð. Et se presser de rire de 2022 de peur d¡¯¨ºtre oblig¨¦ d¡¯en pleurer.

Le mot juste 

²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð est toujours audible, il suffit de l¡¯¨¦couter. ? vrai dire, il le fut d¨¨s le d¨¦but, tous rangs confondus ; des loges seigneuriales aux poulaillers caquetant de cabales. Parce que c¡¯est fin, enlev¨¦, fort ¨¤ propos, et que ?a claque sans clinquer. Ajoutez ¨¤ cela le bon sens et la dr?lerie, et vous obtiendrez le quart de la moiti¨¦ du commencement de ce qui explique sa post¨¦rit¨¦. Ses bons mots sont des mots justes qui dans l¡¯¨¦conomie de la verve brocarde sans m¨¦priser, d¨¦nonce sans houspiller. Le spectateur s¡¯y trompe d¡¯ailleurs rarement : les barbons qui s¡¯encol¨¨rent ou les jeunes premiers qui haussent le ton sont ¨¤ coup s?r les faquins de la farce ¨¤ l¡¯instar d¡¯un Arnolphe ou d¡¯un Alceste, cachet de l¡¯antonomase faisant foi. Un an apr¨¨s sa mort, son ami et admirateur Nicolas Boileau ¨¦dictait dans son ? Art Po¨¦tique ? ce que Poquelin s¡¯appliquait ¨¤ trousser dextrement dans ses sc¨¨nes ; ce qui se con?oit bien s¡¯¨¦nonce clairement et les mots pour le dire fusent ais¨¦ment ! Pour preuve le pan¨¦gyrique en alexandrins d¨¦di¨¦ au dramaturge b¨¦ni des muses : ? Rare et fameux esprit, dont la fertile veine / Ignore en ¨¦crivant le travail et la peine / Pour qui tient Apollon tous ses tr¨¦sors ouverts / Et qui sais ¨¤ quel coin se marquent les bons vers / Dans les combats d'esprit savant ma?tre d'escrime / Enseigne-moi, ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð, o¨´ tu trouves la rime. 

L¡¯?uvre de ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð a travers¨¦ les ¨¦poques et les courants ; et s¡¯il ¨¦tait d¨¦j¨¤ une r¨¦f¨¦rence du sixi¨¨me Art aux Lumi¨¨res, le grand mentor parmi les Romantiques, il est devenu incontournable aujourd¡¯hui. En t¨¦moigne, 2022 oblige, la myriade d¡¯¨¦v¨¨nements qui lui sont consacr¨¦s dans l¡¯Hexagone et au-del¨¤ des fronti¨¨res. Dans l¡¯Antiquit¨¦ on mesurait le talent des rhapsodes, ? chose ail¨¦e ?, ¨¤ la connaissance des vers d¡¯Hom¨¨re et ¨¤ la propension de les clamer avec force et justesse lors des Panath¨¦n¨¦es. Hom¨¨re malgr¨¦ lui ; des salles de classes ¨¤ la Com¨¦die-Fran?aise, ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð est devenu au fil des si¨¨cles le gentilhomme de la rime assujettie au sens.

Moliere

Plaire et instruire, plaire pour instruire !

? L'amour, pour l'ordinaire, est peu fait ¨¤ ces lois / Et l'on voit les amants vanter toujours leur choix / Jamais leur passion n'y voit rien de bl?mable / Et dans l'objet aim¨¦ tout leur devient aimable / Ils comptent les d¨¦fauts pour des perfections / Et savent y donner de favorables noms. ? Ces vers d¨¦licats sont dits par ?liante dans Le Misanthrope et parmi les plus beaux de la langue. Nous sommes en 1666 et cette tirade en guise de madrigal ¨¦blouit et ¨¦claire ¨¤ la fois, comme tout ce qui est lumineux. Le style, la ? mani¨¨re ?, comme chez La Fontaine, se distille ¨¤ l¡¯aune de la ? mati¨¨re ?. ? Rien de trop ? ; comme pr¨¦conisaient les Anciens, chambre d'¨¦cho des Classiques (qui furent d¨¦sign¨¦s ainsi au XIXe si¨¨cle par Stendhal qui voyait en ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð ? le grand peintre de l'homme tel qu'il est. ?). La faconde des furibonds ou des ma?tres ¨¤ penser op¨¨re une catharsis dans l¡¯auditoire : tout ce qui est pudibond, tout ce qui est scolastique est ¨¤ bannir. Quand, enfin, il s¡¯immisce ¨¤ l¡¯acte III dans la pi¨¨ce qui porte pourtant son nom, Tartuffe affiche l¡¯ampleur de son hypocrisie dans une litote qui ne peut m¨ºme plus att¨¦nuer les ¨¦clats de rire contre l¡¯Eglise : ? Couvrez ce sein que je ne saurais voir / Par de pareils objets, les ?mes sont bless¨¦es / Et cela fait venir de coupables pens¨¦es. ? L¡¯ampoul¨¦ fracasse l¡¯Id¨¦e, le p¨¦dant grince, l¡¯emphase enrobe le mensonge et sert la vanit¨¦. Au contraire, l¡¯id¨¦al de l¡¯honn¨ºte homme ou de la femme honn¨ºte, c¡¯est ce qui est bien dit !

Moliere

Il existe une sc¨¨ne des Femmes Savantes pour qui je donnerais tout ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð et qui ? c¡¯est subjectif ? condense son g¨¦nie. Chaque ann¨¦e je m¡¯en d¨¦lecte, la lisant avec des ¨¦l¨¨ves qui ? r¨¦v¨¦rence parler ? n¡¯en comprennent pas encore la port¨¦e, l¡¯¨¤-propos. Loin l¡¯emphase, loin les grandiloquentes, la langue se meut et vit par l¡¯acclamation de spectateurs qui jubilent en marmottant : voil¨¤ ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð, voil¨¤ celui qui s¡¯est adjug¨¦ l¡¯audace de porter au pinacle mes d¨¦fauts, notre sublime, prof¨¦rant des stichomythies qui ne sont ni g¨ºn¨¦es aux entournures, ni alambiqu¨¦es ¨¤ l¡¯envi. Fi des boursoufflures, entre Martine qui fait les gros yeux : ? Qu¡¯est-ce donc que j¡¯ai fait ? ? ; et les Pr¨¦cieuses qui s¡¯indignent : ? Elle a, d¡¯une insolence ¨¤ nulle autre pareille / Apr¨¨s trente le?ons, insult¨¦ mon oreille / Par l¡¯impropri¨¦t¨¦ d¡¯un mot sauvage et bas / Qu¡¯en termes d¨¦cisifs condamne Vaugelas. ? ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð est l¨¤ qui s¡¯interpose, invisible mais avec force, prompt et taquin gr?ce ¨¤ la connivence des spectateurs : ? Quand on se fait entendre, on parle toujours bien / Et tous vos beaux dictons ne servent pas de rien. ? conclut Martine avec justesse. La langue de ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð est claire, cisel¨¦e ¨¤ l¡¯h¨¦mistiche comme l¡¯est une all¨¦e ¨¦lagu¨¦e de Le N?tre ¨¤ Versailles. P¨¦dants et snobs de l¡¯Acad¨¦mie, pr¨¦cieux des c¨¦nacles ¨¤ la circonvolution collet mont¨¦, tous en sont rabrou¨¦s ¨¤ bon compte par le dramaturge qui rit sous cape avec nous.

Parce qu¡¯il aimait avec audace ¨¤ d¨¦zinguer les tartuffes de la ligue d¨¦vote comme les puissants libertins (sous les traits de Don Juan il faut deviner le prince de Conti, son premier protecteur, dont les abominations succ¨¦daient aux privaut¨¦s), parce que ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð mettait bas les masques ? on aimerait que ce soit de nos jours ¨¤ la mode ? parce qu¡¯il aimait jouer les Scapin, les Mascarille, fripons ¨¨s fourberies h¨¦rit¨¦s de la commedia dell'arte qu¡¯il incarnait sur sc¨¨ne avec d¨¦lectation (? Vivat Mascarillus, fourbum imperator ! ?) pour moquer ceux qui se capara?onnent derri¨¨re les latinismes opaques ou les jargons de m¨¦dicastres. Parce qu¡¯il avait le panache de tout dire avec ¨¦l¨¦gance, gloire ¨¤ ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð !

Matthieu Motte
Sauv¨¦s par le Kong
/ Sauv¨¦s pour le Bac /


Illustrations 
²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð
par Pierre Mignard (1658)
H. Daumier, Crispin et Scapin (v. 1863-1865)
A.-E. Fragonard, Don Juan et la statue du Commandeur (v. 1830-1835)


Retrouvez le cycle ²Ñ´Ç±ô¾±¨¨°ù±ð su le site

Le site Francophonie


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